Gaming

Ghost of Yotei

today10/10/2025 98 5

Arrière-plan
share close

Il y a cinq ans, Ghost of Tsushima nous embarquait dans une épopée de samouraï aussi lyrique que brutale, marquant la fin d’une génération PlayStation avec une maestria visuelle et un sens du rythme presque parfait. Aujourd’hui, ghost of yotei relève le défi de la succession. Changement de décor, de héros et de ton : direction Hokkaidō, terre gelée où le volcan yōtei crache encore la mémoire des ancêtres. Le pari est ambitieux : prolonger l’héritage sans tomber dans l’auto-citation. Et si le résultat ne révolutionne pas la formule, il en magnifie l’âme.

Un Japon plus sauvage, plus spirituel

Oubliez les champs dorés de Tsushima. Ici, la nature est hostile, presque mystique. Les plaines enneigées succèdent aux forêts de pins tordus, les villages semblent écrasés par la montagne, et la lumière hivernale teinte tout d’un voile mélancolique. ghost of yotei fait de la nature un personnage à part entière, omniprésent, presque oppressant. L’immersion est immédiate : les rafales de vent, la neige qui se colle au kimono, les cendres volcaniques qui retombent lentement… tout concourt à cette sensation d’un Japon oublié, plus cru, plus silencieux. Le moteur maison brille de mille détails. Le jeu ne cherche pas la démonstration technique, mais l’équilibre entre beauté et vérité. Là où Tsushima était un tableau mouvant, Yotei est une estampe qui saigne. On contemple, on frissonne, on se perd. La contemplation reste au cœur de l’expérience, mais elle gagne ici en densité émotionnelle : la nature n’est plus refuge, elle est témoin du drame.

Atsu, le nouveau fantôme

L’héroine de cette nouvelle aventure s’appelle Atsu. Contrairement à Jin Sakai, noble en quête de rédemption, Atsu n’a ni lignage ni gloire passée. Elle est perdue, brisée par la guerre et la trahison. Loin du code du bushido, elle incarne une vengeance viscérale, presque animale. Ce changement de ton est salutaire : là où Tsushima glorifiait la noblesse du sacrifice, yotei s’attarde sur la lente décomposition morale d’une femme seule face à un monde qui s’effondre. La narration, plus resserrée, évite la dispersion typique du monde ouvert. Le scénario s’articule autour de six cibles majeures, les “Seigneurs de yotei”, dont chacun incarne un fragment du passé d’Atsu. Chaque affrontement est un chapitre à part entière, à la mise en scène ciselée, presque théâtrale. Si le rythme global reste maîtrisé, on sent parfois la volonté du studio de contraindre le joueur dans un cadre plus linéaire, quitte à sacrifier un peu de liberté. Le pari est audacieux : ghost of yotei veut émouvoir avant d’impressionner. Et, dans ses meilleurs moments, il y parvient avec une sincérité désarmante.

Le retour du katana

Le système de combat reste fidèle à ses racines, mais gagne en nervosité et en profondeur. Chaque coup de lame a du poids, chaque parade un sens. Les duels au katana sont plus exigeants, presque impitoyables : la moindre erreur se paie au prix du sang. Le jeu pousse le joueur à observer, à écouter, à respirer avant de frapper. Le timing des contres a été affiné, les postures repensées, et les affrontements contre les maîtres de Yotei comptent parmi les plus intenses jamais proposés par Sucker Punch. La furtivité, déjà très aboutie, s’imprègne ici d’une approche plus cruelle. Les exécutions sont rapides, silencieuses, et la frontière entre le samouraï et le fantôme s’efface un peu plus à chaque mission. On sent que le studio a voulu éviter l’écueil du “more of the same” : les outils du joueur sont moins nombreux mais plus impactants, chaque compétence débloquée modifie réellement votre manière d’aborder le combat. Le bestiaire humain, en revanche, souffre d’un certain manque de variété. Les archers, lanciers et ronins se répètent souvent, et les “élites” ennemies finissent par se ressembler malgré quelques variations d’armes. Seuls les affrontements scénarisés tirent vraiment leur épingle du jeu, avec des chorégraphies de duel d’une intensité rare.

Une exploration apaisée

L’exploration demeure un pilier central, et c’est sans doute là que ghost of yotei excelle le plus. Les missions annexes sont moins nombreuses, mais plus longues, plus écrites. Le studio a compris que quantité ne rime pas avec qualité. Chaque quête secondaire dévoile un pan de folklore ou un fragment de légende locale, parfois tragique, parfois poétique. L’île d’Hokkaidō n’est pas un terrain de jeu gigantesque : elle est dense, structurée, organique. Les sanctuaires cachés, les sources chaudes, les haïkus à composer sont toujours là, mais mieux intégrés au récit. Les récompenses sont moins matérielles, plus symboliques : un fragment d’histoire, une rencontre, une vision. On explore autant par curiosité que par nécessité, et c’est ce qui rend la progression aussi naturelle. L’absence d’interface intrusive accentue encore cette immersion : pas de boussole, pas de mini-carte. Le vent, les oiseaux, les traces dans la neige guident le joueur. Un parti pris déjà présent dans Tsushima, mais ici poussé à son paroxysme. Certains trouveront cela frustrant, d’autres profondément libérateur.

Une œuvre sensorielle

Sur le plan visuel, ghost of yotei tutoie la perfection. Le jeu profite à plein de la puissance des consoles actuelles : textures fines, jeux de lumière naturels, animations d’une fluidité exemplaire. Mais c’est la direction artistique qui emporte tout. Le contraste entre la blancheur de la neige et le rouge du sang crée un impact visuel d’une force incroyable. Chaque plan pourrait être une peinture, chaque combat un poème tragique. La bande-son, minimaliste, n’a besoin que de quelques notes de shamisen ou de flûte pour frapper juste. Les silences sont éloquents, et les sons de la nature, amplifiés, deviennent des respirations du monde. Le doublage japonais, sobre et habité, contribue à cette sensation de cinéma contemplatif. ghost of yotei se vit comme un film de Kurosawa perdu dans le froid : lent, dur, mais sublime.

Un souffle court, mais puissant

La principale limite du jeu tient à son rythme. En cherchant à privilégier la narration, le studio a parfois bridé son propre monde. Certaines zones semblent sous-exploitées, certains arcs secondaires s’achèvent brutalement, et la dernière partie du jeu, bien que spectaculaire, accélère un peu trop le dénouement. La durée de vie reste correcte une trentaine d’heures pour l’aventure principale, une quarantaine pour tout voir mais on ressent que l’aventure, aussi intense soit-elle, ne cherche pas à durer. Le jeu n’est pas pensé pour être refait plusieurs fois. Il laisse derrière lui une trace, une émotion, mais peu d’envie de recommencer. Ce n’est pas un défaut en soi, mais une posture artistique assumée : Ghost of Yotei préfère marquer que divertir.

Conclusion

Ghost of Yotei n’est pas la révolution du jeu d’action que certains attendaient, mais il est incontestablement une évolution. Plus mûr, plus spirituel, plus mélancolique, il assume un ton plus lent, plus pesant, parfois moins accessible. Le gameplay reste somptueux, la mise en scène époustouflante, mais le rythme inégal et la répétitivité de certains affrontements freinent légèrement son envol. Malgré ces réserves, c’est une œuvre rare : sincère, contemplative, et profondément cohérente avec son univers. Le jeu parvient à réconcilier le plaisir de l’action et la beauté du silence, la brutalité du duel et la douceur d’un flocon. Un équilibre fragile, mais terriblement humain.

Écrit par: Warmelin

Rate it

Articles similaires